Les brumes d’une soirée alcoolisée s’évaporèrent doucement à mesure que le cadet des Gauthier se reconnectait à la réalité. Des brides de souvenir restèrent encore dans son esprit alors que son rêve disparut en un instant. Les yeux clos, allongé sur le ventre dans un lit bien chaud, il étira sa jambe pour entrer en collision avec celle d’une autre personne. Une femme. Il n’était pas rare qu’il retrouve une femme dans son lit au petit matin. Mais était-il réellement chez lui ? Ouvrant un œil, il reconnut sa table de nuit. Au moins, il n’aurait pas à se déplacer pour rentrer chez lui, il était déjà sur place. Il se retourna pour s’allonger sur le dos et frotta ses yeux pour émerger. Il s’étira et jeta un œil un peu plus longuement à la demoiselle encore endormie à côté de lui. Une jolie blonde. Bastian n’avait jamais eu de type de femme en particulier. Qu’elles soient blondes, brunes ou rousses ne changeait rien. Evidemment, Monsieur était exigent et ne laissait pas n’importe qui entrer dans son lit. Si elle n’était pas un minimum jolie et à son gout, ce n’était même pas la peine d’y penser. A quoi bon perdre du temps avec un thon ? A part quand il avait quelque chose à gagner derrière. Non parce que se taper une héritière, même si elle était moche, c’était utile ! Bastian n’était pas le genre d’homme à laisser la place au hasard, dans la mesure du possible, tout était toujours calculé et contrôlé.

La blonde endormie ressemblait à Mylessià. Cette dernière n’était pas n’importe qui. Elle avait été la femme de Benjamin pendant quelques années puis la fiancée de Bastian par la suite. Non pas que ce dernier ait eu envie de se marier un jour, la vie de couple n’était pas faite pour lui. Mais il y avait des enjeux non négligeables avec Mylessià. Benjamin avait été marié avec elle pendant plusieurs années pour unir leurs deux familles. Ce fut un échec. Alors Bastian, en compétiteur compulsif y vit là l’occasion pour lui de briller là où son frère si parfait avait échoué. A l’époque, il n’était encore qu’un étudiant en droit, à peine débarquer ici à Phoenix où Benjamin avait hérité du cabinet d’avocat de leur père. Héritage qui lui restait en travers de la gorge. Pourquoi leur père n’avait-il pas pensé à lui ? Lui qui avait toujours été bien plus compétitif que son aîné ? Lui qui avait toujours redoublé d’effort pour se faire remarquer et briller aux yeux de leur père si exigent. Pourquoi restait-il l’éternel second dans tout ce qu’il entreprenait ? Mettre le grappin sur la jolie Mylessià était là une occasion en or d’avoir sa revanche. Alors pourquoi se priver ? Tout n’était pas tout rose entre eux mais ils arrivèrent quand même aux fiançailles. Si d’un point de vue extérieur, ils avaient l’air de filer le parfait amour, dans l’intimité la réalité était toute autre. Ils s’entendaient comme chien et chat, ne cessant de s’envoyer des piques et couchant quand même à droite à gauche. Au final, Bastian échoua également puisque Myless et lui rompirent suite à une broutille incluant un chien. Non pas que Bastian n’aimait pas les animaux, il possédait lui-même une chatte à l’heure actuelle. Mais à l’époque, vivre avec un chien dans les pattes ne faisait pas partie de ses plans et il avait toujours préféré les félins.


Il tourna la tête vers sa table de nuit pour y récupérer son téléphone et vérifier ses mails. Rien de bien passionnant. Il jeta un œil sur les réseaux sociaux et se perdit dans son fil d’actualité. Il tomba sur une photo de ses deux neveux. Ah, il n’aimait pas les gamins en règle générale. Mais il devait bien reconnaitre qu’il appréciait un minimum Hugo et Mathéo. Les jumeaux de son frère. Il avait eu la chance d’éviter de croiser leur chemin quand ils étaient bébés. Il était arrivé au moment où les garçons étaient assez grands pour apprendre à faire des bêtises. Oh, certes, Benjamin avait bien du mal à laisser son frère seul avec ses fils. Pourtant, Bastian lui a souvent proposé de les garder. Sans succès. Qui sait ce qu’il pourrait arriver. Bastian était certes un adulte responsable mais il n’était pas le meilleur « tuteur » qui soit. Il laissait souvent échapper de façon malencontreuse des gros mots en leur présence. Il adorait également leur offrir des cadeaux encombrants et bruyants juste pour le plaisir d’emmerder son frère. Entre Benji et Bastian, rien n’avait jamais été simple. Depuis leur enfance, si les enfants Gauthier avaient été choyés par leur mère, avec leur père c’était différent. Monsieur Gauthier avait toujours mis un point d’honneur à tirer ses fils vers le haut, à se surpasser constamment. Tout était prétexte à battre l’autre, dans tous les domaines. Ramener les meilleurs notes à l’école, être le plus doué en sport, tout était sujet à compétition. Cette soif de battre son frère aîné ne s’est jamais tarie au fil des années. Bastian, toujours relégué au rang de second, nourrissait l’espoir et le souhait inébranlable de passer premier. De cette rivalité constante n’a jamais rien découlé de bon. Les fils Gauthier auraient pu être des frères fusionnels, proches et soudés comme dans beaucoup d’autres familles puisqu’ils avaient énormément de points communs. Pourtant, le désir d’excellence de leur père brisa cette relation fraternelle dans l’œuf.

En se perdant sur son propre compte instagram, il tomba sur des photos qu’il avait prises en France, son pays natal. Son pays lui manquait parfois. Il faut dire qu’il avait passé la majeure partie de sa vie là-bas, entre sa ville natale du sud de la France et Paris, où il avait commencé ses études de droit. Il lui arrivait parfois de retourner là-bas pour quelques semaines, le temps de se ressourcer. Paris était sa ville de cœur, celle où il avait ses plus beaux souvenirs. Il avait passé tellement de bons moments là-bas. Mais il avait tout quitté en apprenant que son frère avait hérité du cabinet de leur père à Phoenix. Un coup de couteau dans le dos selon lui. Il en a énormément voulu à son père et lui en veut toujours actuellement d’ailleurs. Même s’il a toujours eu tout ce qu’il voulait dans son enfance, même s’il n’avait jamais été à plaindre, il n’a jamais digéré que son père ait préféré Benjamin. Encore une fois. Benjamin par-ci, Benjamin par-là. Toute son enfance, il n’a entendu que ça. A bien y réfléchir, il n’y avait rien d’étonnant à découvrir l’homme qu’il était devenu à l’heure actuelle. Il y avait même presque été prédisposé. Chassant tous ses souvenirs de son esprit, il se redressa pour s’asseoir sur le bord de son lit. La demoiselle bougea à son tour et se réveilla pour le saluer en glissant ses bras autour des hanches du jeune homme. Cette fille là, il l’avait approchée parce qu’elle était à son gout. Il n’avait aucun intérêt particulier à coucher avec elle. Il en avait juste eu envie. Elle déposa quelques baisers sur sa peau et remonta le long de son dos jusque dans son cou. Ses jambes encerclèrent sa taille et ses bras se posèrent sur son torse. L’envie d’un second round se fit rapidement sentir et Bastian se retourna pour s’allonger sur sa conquête d’une nuit. Finalement, les choses allaient durer un peu plus longtemps qu’une seule nuit. Au moins quelques heures de plus. Avant de devoir retourner à la réalité de la vie pour affronter une nouvelle journée.

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