Les mois qui venaient de s’écouler avaient été difficiles pour moi. Depuis le mariage de Billie, tout avait basculé. Je me faisais une joie de m’y rendre, la voir heureuse dans sa jolie robe de mariée avait été un plaisir. J’avais oublié cette histoire de vengeance parce que je m’étais rendu compte que le bonheur de ma sœur contribuait au mien. La voir heureuse et comblée me faisait plaisir. Au final, je m’étais attaché à elle bien plus que je ne voulais l’admettre parce que je savais qu’elle était ma sœur. Ça avait beaucoup aidé de le savoir et sans que je ne contrôle quoi que ce soit, ce lien fraternel s’était reforgé même plus de vingt ans après. Ce jour-là, si spécial pour elle, aurait pu être l’un des plus beaux souvenirs de ma vie, parce que je n’en avais pas beaucoup. Ça aurait pu, s’il n’y avait pas eu une ombre au tableau. Je ne m’en étais pas rendu compte immédiatement parce que j’avais été focalisé sur Billie. Mais non loin de moi s’était trouvée la femme qui m’avait mis au monde. Celle qui m’avait lâchement abandonné en préférant garder sa fille. Quand je l’eus repéré, je n’avais plus réussi à détourner mon regard de cette femme abominable, tout sourire qu’elle était en assistant au mariage de sa fille adorée. Ça me dégoûtait et pire que ça, ça me blessait horriblement. A la minute où j’avais posé mes yeux sur cette femme, je l’avais haïe de tout mon être. J’avais même quitté le mariage précipitamment parce que je n’avais plus supporté de me trouver dans la même pièce que cette femme monstrueuse.

Depuis ce jour, j’avais peu à peu rompu le contact avec Billie. Elle n’y était pour rien mais j’avais besoin de prendre du recul par rapport à tout ça. Chaque jour qui passait, je me posais mille et une questions. Avais-je bien fait de retrouver la trace de ma sœur ? Avais-je eu raison de m’installer en face de chez elle à l’époque ? Et si tout ça n’avait été qu’une vaste erreur ? Je ne cessais de tout remettre en cause, nuit et jour. A chaque fois qu’elle me contactait pour qu’on se voie, je trouvais toujours un prétexte pour esquiver. La plupart du temps, j’utilisais l’excuse de mon travail prenant. Voilà trois mois que j’arrivais à m’en sortir sans la voir. Cependant, je n’avais toujours pas trouvé de réponses à mes questions. Ça me tourmentait beaucoup trop. Je préférais penser à autre chose dès que je le pouvais. Aujourd’hui, je ne travaillais pas alors j’avais décidé de passer la journée devant Netflix pour commencer une nouvelle série. J’en avais fini plusieurs depuis que je vivais quasi reclus. Non pas que je ne sortais plus, mais disons que ça me tentait moins depuis ce jour-là. J’étais affalé dans mon canapé avec un saladier de chips sur le ventre en train de regarder la télé quand j’entendis sonner à ma porte.

Je n’attendais personne en particulier mais à cette heure de la journée, ça pouvait être n’importe qui. Je posais le saladier sur la table basse et mis ma série en pause. Je me redressais et secouais mon t-shirt pour faire tomber les éventuelles miettes pour enfin me diriger vers la porte pour l’ouvrir. Jamais je n’aurais imaginé y trouver Billie juste derrière. Ma bouche s’entrouvrit sous la surprise. Merde. « Euh, salut. » Elle était toute bronzée et radieuse. Revenait-elle de son voyage de noces ? Bon, quoi qu’il en soit et même si je n’avais pas très envie de la voir je ne pouvais pas la laisser dehors. Question de politesse et de savoir vivre. « Si tu veux rentrer deux minutes, vas-y je t’en prie. » Je m’écartais de la porte pour lui laisser le passage et refermais derrière elle. Je croisais les bras. « Tu as besoin de quelque chose ? » Non je ne lui demandais pas comment elle allait, je le voyais très bien. Et je ne voulais pas entrer dans les banalités pour qu’elle s’attarde trop longtemps. Plus vite elle serait partie, mieux ça vaudra pour tout le monde.

Ça n’allait pas fort depuis plusieurs semaines. Mon passé m’avait rattrapé et ça faisait un mal de chien. J’avais besoin de faire le vide, de m’isoler du monde extérieur quand je le pouvais et de me changer les idées. J’avais plusieurs solutions pour ça. Soit je sortais dans un bar pour rentrer avec une fille avec qui m’amuser toute la nuit, soit je restais enfermé chez moi pour me plonger dans un film ou dans une série. Ça fonctionnait plutôt bien et avec Netflix j’avais de quoi faire. Le boulot m’aidait aussi pas mal parce que je devais rester concentré en toute circonstance. Je n’avais pas le droit à l’erreur parce que ça pouvait couter la vie à quelqu’un. Le plus difficile, c’était pendant mes jours de repos. Il fallait vraiment que j’évite de penser à ma situation familiale parce que ça me rongeait. J’avais même coupé les ponts plus ou moins volontairement avec Billie. Même si elle ne s’en était peut-être pas rendu compte avec son voyage de noces. Je ne savais pas si elle en était revenue ou non ou si ça s’était bien passé. Je l’espérais pour elle mais je ne voulais pas le savoir.

Je pensais passer une journée tranquille devant la télé mais on sonna à ma porte. Posant mes chips sur la table, je m’étais trainé jusqu’à la porte pour l’ouvrir. Et quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver Billie, radieuse. Plutôt déstabilisé, je l’avais saluée tant bien que mal tant la voir ici me perturbait. Je ne m’étais pas attendu à la voir débarquer directement chez moi. Je l’avais quand même laissée entrer mais j’espérais sincèrement qu’elle ne s’éternise pas. La voir là chez moi tout sourire, fit resurgir les souvenirs désagréables de son mariage. Non pas qu’elle y était pour quelque chose. Elle avait été sublime dans sa robe et j’avais été content pour elle. Mais rencontrer notre mère fut un souvenir on ne peut plus douloureux. « Ben j’en sais rien, tout dépend ce que tu veux ou ce que tu as à raconter. » Lui accorder deux minutes était une façon de parler. Plus ou moins. Visiblement mon comportement lui paraissait suspect à en juger la façon dont elle se tenait. « Non bien sûr, tu… ouais tu viens quand tu veux. » Bon, c’était cramé qu’il y avait un problème. Elle allait peut-être s’imaginer que j’avais une fille chez moi ou ce genre de chose ? Avait-elle seulement remarqué que je m’étais éclipsé avant la fin de soirée à son mariage ? Ou était-elle tellement sur son petit nuage qu’elle n’avait rien vu ? « Non, non. » Elle ne me dérangeait pas. Dans un sens c’était vrai. Je ne faisais rien de particulier. Mais d’un autre côté, oui, sa présence me posait problème. Cependant, elle n’y était pour rien. Elle n’avait rien fait pour causer ce malaise. Ce n’était pas de sa faute si j’avais besoin de me montrer distant avec elle, à tel point que je ne lui proposais ni de s’asseoir ni quelque chose à boire. « Alors, quoi de neuf ? Ton voyage, tout ça ? » C’était maladroit. Elle allait forcément me raconter sa lune de miel mais je n’avais aucune envie de l’entendre. J’étais littéralement en train de me tirer une balle dans le pied.

Me retrouver devant Billie après tout ce qu’il s’était passé et après la mauvaise rencontre à son mariage n’était pas une bonne chose. J’avais trop de choses sur le cœur. Pas nécessairement contre elle. Mais, ça la concernait quand même. Aussi, je ne pouvais pas l’éviter éternellement, elle allait finir par trouver ça suspect. Surtout que je n’étais même pas certain qu’elle ait remarqué mon départ soudain à son mariage. Il faut dire qu’elle avait eu bien d’autres choses en tête à ce moment là. Ce qui était tout à fait normal. Pour autant, je n’avais pas envie qu’elle s’éternise parce qu’elle allait forcément me demander pourquoi on ne se voyait plus autant qu’avant. Je pouvais bien utiliser l’excuse de mon travail prenant, mais serait-ce vraiment suffisant ? Rien n’était moins sûr. Est-ce que j’avais des choses à raconter ? Franchement ? « Pas spécialement non, tu sais je bosse beaucoup dernièrement donc… » Je haussais les épaules. L’excuse du travail prenant était sortie, à voir si elle allait passer ou non.

Toujours dans l’entrée de mon appartement, je ne l’avais pas invitée à s’installer et je ne lui avais pas proposé à boire. Je ne voulais pas qu’elle s’éternise. Je n’aurais certainement pas la force de la regarder sourire pendant des heures alors que j’étais anéanti à l’intérieur. Je n’avais pas envie de sourire. Je n’avais pas envie de rire ou de faire des efforts. Je n’avais pas le cœur à ça. A quoi bon faire semblant ? Autant qu’elle me raconte rapidement son voyage de noces et qu’on en reste là. Elle devait avoir des choses à faire. Cependant, elle ne me donna pas trop de détails et resta dans le vague, se contentant de me dire que c’était bien et qu’elle était triste d’être rentrée. Super. Je ne trouvais rien à dire. Aucun mot ne voulait sortir de ma bouche. Alors je me contentais de sourire, faiblement. Ce qui me demanda un effort considérable, il faut bien l’avouer. Lorsqu’elle me retourna la question, à mon plus grand désarroi, je grimaçais légèrement. Bon sang. J’étais mauvais acteur. Elle devait sentir à des kilomètres que quelque chose clochait. Est-ce que je devais continuer de mentir, la rassurer tant bien que mal dans l’espoir de la faire partir au plus vite ? Ou devais-je jouer franc jeu quitte à ruiner sa journée ? Et sa vie sans doute. Je ne savais pas si elle était prête à entendre la vérité de sa vie. Ni si moi j’étais prêt à la lui avouer. Je haussais les épaules, tentant de réfléchir à toute vitesse. « Ça va. » Mensonge à peine convaincant. Je n’y croyais pas moi-même. Moi qui étais d’un naturel franc, ça me faisait tout drôle de mentir. Soupirant un grand coup, je levais la tête pour regarder en l’air quelques secondes en posant mes mains sur mes hanches. Qu’est-ce que je devais faire ? Aucun de nous n’était prêt.

J’eus un petit sourire crispé et nerveux alors que je baissais la tête pour poser mon regard sur elle. « En fait non, ça ne va pas. » Et ça ne datait pas d’hier. « Billie, il faut que je t’avoue quelque chose d’important. Et je pense que tu devrais t’asseoir, ça vaut mieux. » Parce qu’il était clair et net qu’elle ne s’attendait absolument pas à ce que je m’apprêtais à lui dire. Je la guidais dans le salon où je pris place sur le canapé, attendant qu’elle fasse de même. « Par où commencer… » Par le début ce serait pas mal, mais bon. Je glissais ma main dans mes cheveux, tentant de mettre de l’ordre dans mes idées. « Je ne sais pas si tu l’as remarqué mais je ne suis pas resté très longtemps à ton mariage. Disons que j’ai fait une rencontre qui m’a… » Brisé le cœur ? Détruit ? « …Bouleversé. Ce n’est vraiment pas facile à dire, parce que ça me pèse depuis un moment. » Je ne pouvais pas lancer la bombe comme ça, il fallait que je brode un peu. « J’ai été adopté Billie, et… j’ai croisé ma mère biologique à ton mariage. Alors, en sachant qu’elle m’avait lâchement abandonné à ma naissance, ça m’a blessé de la voir. Comme tu peux l’imaginer. » Pour le moment, aucun lien avec elle, je ne voulais pas aller trop vite. Je voulais déjà qu’elle se fasse à l’idée que ma mère avait été une garce.